Johanna Cartier – TERRAINS FRAGILES, AMOUR MISKINE

TERRAINS FRAGILES, AMOUR MISKINE

Johanna Cartier concentre ses recherches sur des sujets considérés comme marginaux. Les PMU, le monde des routiers ou encore le mouvement techno « gabber », sont autant de sujets que l’artiste fouille et décortique avec empathie. Son travail se matérialise via la peinture, le dessin, la sculpture, l’installation ou encore la vidéo. Bien souvent fondé sur des observations, des expériences et des témoignages variés, son travail débute par des images collectées sur Internet ou par des objets chinés dans des vide-greniers. Sa pratique se nourrit de recherches approfondies qui peuvent l’amener à échanger avec les individus concernés par la thématique traitée. Fascinée par des univers à contre-courant, souvent mal perçus, elle examine et questionne de nombreux clichés, tabous et idées reçues.

Pour son exposition personnelle à KOMMET, Johanna Cartier convoque ses expériences et ses souvenirs les plus intimes. Dans ses œuvres, elle nous délivre un bout de son adolescence passée dans la diagonale du vide et s’attache à montrer ce que peut être la vie de jeunes filles en milieu rural. Ces dernières grandissent bien loin du monde urbain, bien loin de l’anonymat. Drague aux abords d’une cage de foot ou travail dans l’exploitation agricole familiale, elles évoluent sur un territoire où il y a peu d’activités, peu de loisirs et où les commerces de proximité ont quasi disparu. Le lavoir, l’arrêt de bus ou le stade de foot, deviennent ainsi des lieux propices aux rendez-vous entre amis, et plus si affinités.

Johanna Cartier métamorphose l’espace d’exposition et recrée un petit bout de campagne en plein cœur de la Guillotière. On observe un faux gazon et un pan de mur peint en jaune fluo qui pourrait être celui d’un champ de colza ou bien de ces affiches visibles le long des routes et des ronds-points indiquant « bal des pompiers », « brocante », etc.

Elle décide également d’éplucher ses anciennes conversations Facebook et nous plonge un peu plus dans l’univers des ragots et des ados.

À KOMMET, l’artiste s’empare d’objets symboliques et joue constamment sur des doubles sens pour faire ressortir des sujets plus profonds. Ainsi, elle met ici en parallèle la cage de foot avec le rêve de rencontrer l’amour et de s’unir pour la vie. Observant à la campagne que le mariage est généralement une fin en soi, la cage alors féminisée par des centaines de strass, arbore un imposant voile. Le but devient ici le symbole d’une aspiration prégnante dans le monde rural. Questionnant les relations humaines et sociales, elle explore aussi la manière dont les jeunes filles adoptent certains comportements pour s’adapter aux schémas patriarcaux. De temps à autre, perçues comme des copines, de futures épouses ou encore comme des cibles, elles naviguent fébrilement entre hypersexualisation précoce et pression du jugement. « Vivant dans des espaces où l’interconnaissance est forte, où les commérages participent à classer et déclasser socialement les individus entre eux, et où les histoires et les qu’en dira-t-on se transmettent de génération en génération, les jeunes femmes doivent faire avec et tout faire pour ne pas y être associées »1.

Expression relevant d’un danger ou d’une interdiction, Johanna Cartier utilise et détourne des panneaux de signalisation et offre aux visiteurs différents niveaux de lecture. Gare aux mauvaises fréquentations si l’on ne souhaite pas que sa réputation et sa respectabilité soit entachée. En effet, les « jeunes filles du coin » ont l’habitude de rester sur le qui-vive et évitent, de près comme de loin, les potentiels prédateurs. Si l’on dépasse le sens littéral de la pancarte « Attention auX chienS » cette dernière évoque alors les hommes graveleux et dangereux.

Néanmoins, quitter le foyer peut s’avérer complexe lorsque l’on ne possède aucun moyen de locomotion et, de là, peuvent surgir des sentiments d’enfermement et de frustration. Les jeunes filles se laissent volontiers séduire par les jeunes des villages voisins propriétaires de scooters. Johanna se souvient que ces cavaliers motorisés lui permettaient de défier certains interdits. Par exemple, elle s’échappait pour des virées nocturnes pour fumer la chicha en douce. Sa meilleure amie en était l’heureuse propriétaire et, par chance, les « gars du coin » véhiculés pouvaient amener le matériel nécessaire : briquet, charbon et autres accessoires indisponibles dans son propre village de campagne. La chicha crée ainsi un nouveau prétexte pour se regrouper et échanger. À KOMMET, une femme suçote une tétine tandis qu’un homme semble fumer la chicha. Par sa forme fine et phallique, les tuyaux renvoient à la figure du serpent. En sélectionnant certains des objets présentés dans cette exposition, Johanna Cartier aborde implicitement le passage de l’enfance à l’âge adulte.

Johanna Cartier entremêle, dans cette exposition, objets réels, images mentales, expressions et clichés ruraux. Marquée par cette adolescence loin de tout, elle prend du recul et pose tout dorénavant un regard compréhensif et admiratif sur ces personnes qui vivent et travaillent à la campagne. En dressant ce portait, à cheval entre la réalité et la fiction, elle s’interroge encore aujourd’hui à la construction des relations sociales dans le monde rural et cherche à mieux saisir ses fondements.

1 Yaëlle Amsellem-Mainguy, Les filles du coin : vivre et grandir en milieu rural, Paris, Éditions SciencesPo Les Presses, 2021, p. 73.

Exposition en partenariat avec la Factatory résonance avec la Biennale de Lyon

Commissariat
Émilie d’Ornano 

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Née en 1996, Johanna Cartier vit et travaille à Brest. Elle est diplômée de l’École Supérieure d’Art de Bretagne (site de Rennes) en 2019. Elle inaugure en 2021 une exposition personnelle au centre d’art Passerelle (Brest), Son travail a également été exposé à la Galerie Vanessa Quang (Paris), à la galerie du Praticable (Rennes) ou encore à Dapper (Amsterdam). En juin 2022, elle effectue une résidence à la Maison d’arrêt de Brest, en partenariat avec Passerelle, la Ligue de l’Enseignement du Finistère, et la PJJ dans le cadre du dispositif Culture/Justice soutenu par le Ministère de la Culture et la DRAC Bretagne

Vues d’exposition : Lam Son Nguyen

Hélène Hulak & Mélissa Mariller – FURY

FURY

Fury est une invitation dans un monde habité de colère, une sorte d’enfer où des êtres féminins vous sautent au visage. Hélène Hulak et Mélissa Mariller s’emparent d’univers masculins comme le tuning, le tatouage ou encore le piercing pour en distordre les codes et se jouer de leurs images stéréotypées. Pour leur premier duo show, les artistes ont imaginé pour KOMMET l’installation commune Fury.

Mélissa Mariller, designer plasticienne, crée des sculptures fonctionnelles. En explorant des matériaux froids, tels que le verre ou le métal, elle développe des formes acérées et tranchantes. Ses recherches actuelles se concentrent en partie sur le monde de l’automobile. Elle questionne un secteur rempli de testostérone où certains adeptes du tuning bichonnent et personnalisent leur engin avec des matières clinquantes. La pratique d’Hélène Hulak gravite, quant à elle, autour de l’installation, la peinture, la sculpture, le textile ou la vidéo. En perpétuel mouvement, son travail se situe souvent dans une exploration sérielle. Elle emprunte des images issues de la culture populaire susceptibles de connaître des mues successives. Elle joue et use, à outre mesure, de leurs codes afin de générer chez le spectateur une réflexion liée à notre rapport au genre et à notre environnement. Elle vient, en quelque sorte, gratter cette première couche lisse pour en faire émerger un aspect éminemment plus grinçant et torturé.

Les deux artistes ont imaginé et conçu un support de monstration pour les pièces textiles d’Hélène Hulak. S’apparentant au châssis d’une toile, ce cadre devient également le châssis d’une automobile carbonisée. La carcasse d’une Clio a laissé place à une forme monstrueuse et incisive. Ce squelette n’est pas s’en rappeler l’anatomie d’une araignée géante, sortie tout droit d’un film de science-fiction. Dans ses mandibules, des bouts de corps et de mécaniques en tissu sont suspendues par des chaînes.  On se demande alors si ces figures féminines ne tenteraient pas d’asservir et de démembrer l’automobile. Bien qu’Hélène Hulak travaille avec des couleurs chatoyantes, lamées et pailletées, les pièces textiles éveillent des sentiments ambivalents chez le spectateur. Ces dernières sont en effet tout aussi séduisantes qu’inquiétantes. D’autres éléments de la machine sont morcelés, comme projetés dans l’espace d’exposition. Un volant boursouflé ou des phares de voiture encore allumés gisent sur le sol. 

Sur les murs de KOMMET – dans un semblant de ciel apocalyptique – des figures déliquescentes enragées laissent entrevoir un possible autre monde. Sont-elles les victimes de cet accident ou en sont-elles à l’origine ? Tous les scénarios sont ouverts. Chahutant notre perception du dedans/dehors, les artistes plongent délibérément les visiteurs dans une scène accidentée. Dans ce décor, en apparence figé, règne une certaine intranquillité. En effet, peu d’éléments sont encore en état de marche comme les deux lampadaires aux lignes acérés que l’on pourrait voir au bord des routes dans un film d’épouvante. 

Mélissa Mariller et Hélène Hulak déploient à KOMMET un monde où la figure mythologique de la furie se retrouve hybridée avec la grid girl du salon de l’automobile. Ces jeunes femmes qui tiennent l’ombrelle des pilotes ou les drapeaux lors de grandes courses deviennent, peut-être, dans cette exposition, des vengeresses surpuissantes.

Exposition en résonance avec la Biennale de Lyon

Commissariat
Émilie d’Ornano 

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Née en 1990, Hélène Hulak vit et travaille à Lyon. Diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon, son travail a notamment été exposé aux Magasins Généraux (Pantin) à SIM Gallery (Reykjavik) ou encore au macLyon (Lyon). Invitée par Studio Ganek, elle participait au mois d’avril 2021 à l’exposition collective À ciel ouvert, installée dans des panneaux d’affichage de la Ville de Lyon et était en résidence de création à KOMMET au printemps 2021. Cette même année, Hélène Hulak part en résidence en Islande dans le cadre d’un programme organisé par « Artiste en résidence » et est invitée par le macLyon dans le cadre de l’exposition « Crossover Hélène Hulak x Mel Ramos ». Elle est co-fondatrice de l’association Cagnard et travaille au sein de l’atelier Montebello. 

Née en 1990, Mélissa Mariller vit et travaille à Lyon. Diplômée de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Lyon, son travail a notamment été exposé à Dardilly pour l’exposition collective Paysages Manufacturés, à Poush Manifesto (Clichy) à l’Attrape-couleurs (Lyon) ou encore à la Petite galerie Françoise Besson (Lyon). Sélectionnée par art3 (Valence), Mélissa Mariller a l’opportunité d’effectuer en 2022 une résidence à Stuttgart (Allemagne). Elle est co-fondatrice de l’association Cagnard et travaille au sein de l’atelier Montebello. 

Vues d’exposition : Lucas Zambon

Résidence Laura Pouppeville

Un peu de chaque sur la table

Résidence hors-les-murs de l’artiste Laura Pouppeville en partenariat avec le centre social l’Escale solidaire du 3e à Lyon.

Cette résidence s’inscrit dans le programme Été culturel 2022 et Quartier d’été – Projet soutenu la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes / Ministère de la Culture, par la Ville de Lyon et la Préfecture du Rhône.

Crédits photos : Lucas Zambon

L’Escale solidaire offre à ses passagers des moments conviviaux par le biais du Bistro des
amis. Les usagers y viennent pour se restaurer mais aussi pour participer à des activités
programmées ou à une partie de cartes improvisée ! L’atmosphère réconfortante et familiale est propice aux rencontres et aux échanges entre résidents et bénévoles.

L’artiste Laura Pouppeville entremêle dans sa pratique écriture, sculpture, vidéo, installation et performance. Suite à des rencontres et des moments partagés, elle tisse des liens entre sa pratique et autrui. Elle traite des transmissions de souvenirs, des oublis et déformations d’histoires, de la construction et la disparition des espaces ou des objets, de la cohabitation, de la fête, des repas, de l’amour. En effet, l’artiste axe essentiellement sa recherche plastique sur des thématiques liées à la mémoire et à nos manières de communiquer avec le corps ou la parole.

Pour cette nouvelle résidence, Laura Pouppeville est allée à la rencontre des passagers et des bénévoles de l’Escale solidaire afin d’échanger sur la notion de repas. Assistée de Marianne Rioual, l’artiste a partagé de nombreux moments avec les participants à différentes occasions : dans la structure sociale (Bistro des amis) ou encore à Fourvière avec le bus mobile de l’Escale solidaire.

Cette première étape a été l’occasion pour les participants de faire remonter à la surface des souvenirs liés à la nourriture et à des repas vécus. D’autres temps ont été dédiés à la production de formes avec les participants : dessins, modelage en argile d’éléments rattachés à la thématique du repas (vaisselle, nourriture, ustensiles de cuisine, accessoires de tables, moments vécus).

Ces productions s’apparentant à des micro-installations, (sculptures, nourriture, recettes, récits, etc.) sont statufiées par l’effet d’aspiration émise par une machine de mise sous vide. Les éléments préservés dans un emballage continuent néanmoins de se dégrader et d’accumuler les traces du temps. Ainsi, cette technique est comme une tentative vaine de conservation du souvenir. Laura Pouppeville a également entamé une production personnelle qui s’entremêle aux réalisations des passagers.

La production finale prend la forme d’une installation où se côtoient des bribes d’histoires personnelles. Ces dernières forment un étalage fictif réunissant des souvenirs mis en commun. L’installation suggère aux spectateurs qu’un seul et même repas se serait déroulé alors que cette pièce émane de multiples temporalités et spatialités.

Au-delà de partager des moments chaleureux et conviviaux, aborder cette notion de repas permet de mettre en valeur la diversité culturelle du quartier par le patrimoine culinaire et de créer du lien entre les participants.

Merci infiniment à toute l’équipe de l’Escale solidaire, du 3e, les passagers, Marianne Rioual et Thelma Feydri

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Née en 1992, Laura Pouppeville vit et travaille à Lyon. Elle est diplômée en design et environnements à l’Université Panthéon-Sorbonne (2014), en sociologie à l’Université Paris Diderot (2017), et en design et espace à l’École Supérieure d’Art et d’Agglomération d’Annecy (DNSEP, 2016).

Aurore-Caroline Marty – DIVINE

DIVINE

Aurore-Caroline Marty développe de multiples récits entremêlant de plus en plus l’art vivant, l’art sonore, la photographie et l’artisanat. Sa pratique ne cesse de s’élargir : elle s’adonne depuis plusieurs années à l’expérimentation de nouvelles techniques comme le vitrail, la taille de pierres, la broderie, le batik ou bien la fonte de métal. Ainsi, l’artiste se plait à poser un nouveau regard sur un matériau et une technique afin d’en extraire de nouvelles formes. Plutôt que de s’intéresser à des savoir-faire dits « tendance », elle se tourne allègrement vers des matériaux et des procédés considérés aujourd’hui comme désuets afin d’en révéler leurs potentiels fantastiques. Ne souhaitant pas hiérarchiser les matériaux, elle les confronte naturellement avec des matériaux plus nobles. Éprise d’une compassion pour certaines couleurs et matériaux mal-aimés, elle n’hésite pas à employer de la peinture rose saumon, du violet ; de la mousse isolante, des frites de piscine ou du papier peint « effet marbre ». Elle ne cherche aucunement à dissimuler ou à costumer les matériaux laissant apparaître volontairement leur aspect « cheap ».
 
Depuis 2014, Aurore-Caroline Marty chine des objets – plus improbables les uns que les autres – pour agrémenter son incroyable « kitschothèque ». Fleurs artificielles, nains de jardin, bibelots à motifs animaliers en porcelaine ou encore collection de statuettes de la vierges Marie, sont autant d’éléments qui constituent une source inépuisable d’images et de formes glanées dans diverses boutiques et brocantes. Ainsi, tout ce qu’elle a sous la main vient compléter une pièce en cours de production ou peut devenir le point de départ d’une idée nouvelle. L’artiste – en jouant de ce que peut offrir la société de consommation – met en scène des dispositifs envoûtants. Les volumes s’érigent et, d’ordinaire, elle y adjoint paillettes, froufrous, perles tissus « shiny » ou revêtement « glossy ».
 
Lors d’une récente résidence au Bénin, Aurore-Caroline Marty remarque rapidement que les noms des boutiques qu’elle croise ont presque systématiquement un rapport au divin. Le mot « Divine » lui est apparu comme une image subliminale et, si l’on reprend sa définition dans le Larousse, cet adjectif signifie : qui est dû à Dieu, ou à un être assimilé à la divinité, ou une chose que l’on trouve exceptionnelle ; parfait, sublime. L’emploi de ce terme, qu’il soit lié au sacré ou à la beauté, révèle l’essence même de sa pratique.
 
KOMMET, installé dans le quartier de la Guillotière, est voisin de nombreux commerces tels qu’un magasin de vêtements, une fromagerie et de plusieurs fast-foods. Depuis l’extérieur du centre d’art, on observe un vinyle adhésif doré apposé sur les vitrines indiquant la présence d’une nouvelle enseigne. Pour son exposition personnelle, Aurore-Caroline Marty décide d’implanter pendant deux mois Divine, une boutique aux allures d’un salon de beauté. Le décor est planté. Est-ce un lieu totalement inanimé ou un commerce en cours de finition prêt à ouvrir ?
 
Aux allures d’une maquette de Barbie, les visiteurs/clients qui passent le pas de la porte observent des mobiliers et des objets mouvants aux fonctionnalités altérées. Aurore-Caroline Marty s’amuse des codes et des clichés pour recréer différents objets que l’on s’attend à retrouver dans ce type de boutique : comptoir à l’entrée, coiffeuses, peignes, produits de beauté, paravent, fauteuils, etc. L’espace devient en quelque sorte le fragment d’une réalité parallèle. L’artiste y fait co-exister des époques multiples, juxtaposant des références au divin, à la mythologie, ou à la culture populaire émanant de contes, de films de Walt Disney ou de séries comme Ma sorcière bien aimée (1964-1972) ou bien Une nounou d’enfer (1993-1999).
 
Dans ce décor inanimé quasi cinématographique, Aurore-Caroline Marty simule la fonction de miroirs en utilisant du stratifié noir glossy. Clin d’œil à la série Black Mirror (2011), l’artiste imite ici le « miroir noir » d’un écran éteint. Elle questionne alors la pratique du « selfie » à l’ère de la surconsommation des écrans et rejoue à sa manière le mythe de Narcisse. Notons également la présence d’énigmatiques mains roses manucurées tenant entre leurs doigts des bougies électriques de sapin de Noël. Le dispositif rappelle une scène du film La Belle et la Bête réalisé par Jean Cocteau où des bras musclés déplaçaient alors des candélabres. Des formes étranges continuent de se déployer et d’imprégner l’espace d’exposition. À l’image de créatures mythologiques et vaudous prenant l’apparence d’un être mi femme mi serpent, des nattes de cheveux synthétiques s’exhibent dans le salon. En effet, un coquillage semble avoir englouti une femme ou peut-être à l’inverse, est-elle en train de s’extraire de sa coquille ? Le doute persiste et toute une série d’étrangetés se succède à KOMMET.
 
Toute cette mise en scène nous entraîne dans plusieurs réalités : celle d’un monde artificiel immergé entre deux eaux, plongé dans le passé et tourné vers un ailleurs rétrofuturiste aux accents mystiques. On se laisse volontiers séduire par le salon de beauté Divine puis, par mégarde, on entame une progressive incursion dans un univers qui est finalement loin d’être rose. 

Commissariat
Émilie d’Ornano 

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Née en 1985, Aurore-Caroline Marty vit et travaille à Dijon. Elle est diplômée de l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon (ENSA) en 2010. Elle devient alors assistante de Marc Camille Chaimowicz jusqu’en 2016. Son travail a été exposé aux Ateliers Vortex (Dijon), au Musée Estrine (Saint-Rémy-de-Provence), ou encore à la chapelle Sainte-Marie d’Annonay (sur une invitation du GAC). Aurore-Caroline Marty réalise plusieurs résidences, notamment à la Villa Belleville (Paris), au FRAC Bourgogne (Dijon), à Moly-Sabata (Sablons) ou plus récemment au Bénin en partenariat avec la Fondation Zinsou.

Vues d’exposition : Lam Son Nguyen

SUPER BOUQUIN – Librairie éphémère

SUPER BOUQUIN, c’est une sélection de micro-éditions, auto-éditions et revues qui se sont emparés de l’espace de KOMMET le week-end du 23 & 24 avril 2022, à Lyon. Dans cette librairie éphémère ont été présentés pas moins de 200 ouvrages qui abordent, revendiquent et mettent en forme : création, féminisme, politique, écologie, science-fiction, graphisme, photographie, écriture…

Tout au long du week-end, les visiteurs ont pu venir à notre rencontre pour bouquiner, grignoter, échanger et assister à de multiples lectures :

✺ Cybersista – Club Maed, Club cyberféministe intersectionnel installé au Labo NRV.  Présentation samedi à 16h30 du guide pratique de l’écriture inclusive en école d’art
✺ Auto-ARC Tout le monde sait écrire, de l’ESAD Valence, Collectif d’écriture et d’éditions : Lecture de leur fanzine collectif Adelphité *, lecture à la suite de Cybersista – Club Maed
✺ Les mots de trop, Outil de lutte et de sensibilisation à destination de tous·tes les étudiant·es des milieux de la culture. Consultation de leur Mini-guide d’auto-défense, à emporter à prix libre en soutien.

Participants à SUPER BOUQUIN  :

Boulangerie Pâtisserie Sorcellerie • Éditions de l’Obsession • Woman Cave Collective • Les Presses d’URL • Les Milieux • La Perruque • Cyprien Desrez • aroundpress • Éditions Sheet • Acédie 58 • Lise Dua • Les Éditions Karbone • Lazare Lazarus • dorica castra • Paris-Brest • POST it • Idoine • Revue Revive • Mathias Roche • Emilien Adage • hyphe • Fabien Coupas • Marine Forestier • Barbapop • Facile Press • Alice Marie Martin • François Henninger • Castel Coucou • Pouppeville Laura • Bande de éditions • Clémence Rousseau • Edith Despavet • Quentin Coussirat • éditions les – – lilas.christmas  • CP.MG • édition FP&CF • Solarium tournant • Jeanne Chopy • L’atelier du Palais •


SUPER SAPIN est une équipe issue de rencontres entre Lyon, Clermont-Ferrand, Paris et Nantes. Depuis 2019, elle propose des ventes de pièces d’artistes et designer·euses, pour diffuser leurs travaux et leur offrir une visibilité conviviale. Ces événements permettent de croiser des pratiques, des questionnements et des revendications, mais aussi de créer des rencontres et soutenir les artistes.


Rémy Drouard – CAMPING INTERDIT…

CAMPING INTERDIT,
MONTÉE SOUDAINE DES EAUX MÊME PAR BEAU TEMPS

Dans ses peintures, sculptures, installations ou dans son travail d’écriture, Rémy Drouard s’inspire de son propre quotidien. À travers un regard poétique et comique, il saisit des moments on ne peut plus banals. Ces bribes de souvenirs heureux sont alors immortalisées sur des toiles et parfois sur des supports moins classiques : caillou, bout de bois ou bien même sur de la brique. L’artiste s’amuse alors à désacraliser la fameuse toile peinte sur châssis fixée au mur. Bien que toute la première partie du XXe siècle ait permis de libérer l’espace plastique de l’emprise du cadre, du châssis ou encore du socle, Rémy Drouard ne déroge pas à cette intention. Après avoir passé de longs moments à observer le sol carrelé de KOMMET, Rémy souhaite intervenir sur ce dernier. Afin de l’occulter, il décide d’entamer la réalisation d’une peinture sur toile qui viendrait recouvrir l’entièreté du sol, soit une surface totale de 35m2 environ. En résidence pendant un mois à Moly-Sabata (Sablons, Isère), l’artiste s’est attaqué à ce travail laborieux et minutieux.
 
Face à une œuvre exposée, dans un musée par exemple, on note un certain nombre d’habitudes comportementales. En effet, il est d’ordinaire interdit de toucher et encore moins de piétiner une œuvre. En 2017, un visiteur marcha par inadvertance sur une œuvre d’Yves Klein au Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice : l’affaire ubuesque faisait les gros titres. À KOMMET, impossible de rentrer dans l’espace d’exposition sans être contraint de marcher sur la toile. L’installation de Rémy Drouard désoriente en proposant un autre mode de contemplation puisque rien n’est accroché au mur et que tout est disposé à même le sol. S’ensuit alors une chorégraphie cocasse du visiteur qui tente d’éviter les sculptures disséminées par terre.
 
Le carrelage de KOMMET a donc laissé place à la représentation d’un sol faussement naturel et inerte où l’on observe à nos pieds cailloux, brindilles, mégots, feuilles mortes, rat, poissons (déchiquetés par un possible prédateur) et même les restes d’un feu de camp délaissé. On retrouve également certains objets peints qui semblent être tout droit sortis d’une bande dessinée. L’artiste joue d’ambiguïtés et cherche à tromper le regard du spectateur en peignant sur divers matériaux. La brindille en céramique se retrouve alors installée à côté d’une brindille naturelle, toutes deux peintes avec le même traitement.
 
Camping interdit, montée soudaine des eaux même par beau temps – titre donné à cette exposition ainsi qu’à l’installation – est une indication empruntée à certains panneaux que l’on retrouve aux abords de lieux dangereux, notamment en lisière de barrages hydroélectriques. Malgré leur présence, force est de constater qu’ils ne sont pas toujours respectés. Tout comme sur certains chemins boisés, à KOMMET on décèle les traces d’une activité humaine, figurées par les restes d’un feu de camp et par la multitude de mégots éparpillés. Ces derniers nous indignent lorsqu’ils sont jetés en pleine nature. Avec beaucoup d’humour, Rémy Drouard explique que le mégot est « subversif ». Tout comme lui à l’époque, nombreux sont les adolescents à cacher leur tabagisme à leur parent. Dans l’espace d’exposition, ces mégots cohabitent avec un parterre de galets colorés sur un sol de terre humide. Le visiteur reste libre d’imaginer les possibles épisodes de fêtes ou de barbecue qui ont pu s’y tenir.
 
En imaginant ce sol, Rémy Drouard entremêle plusieurs souvenirs personnels. Il se rappelle tout d’abord de cette plage dans le pays breton qu’il a foulé à huit ans en classe de mer. Le sable était jonché de coquilles d’escargots vides et multicolores. Plus récemment, il raconte ces instants passés dans le massif du Queyras au bord de la rivière du Guil. Fusionnant ces souvenirs bretons et ceux du sud-est de la France, Rémy Drouard propose aux visiteurs une échappée belle dans un décor de berge fictive. Cette installation lui permet de reconfigurer le rapport entre l’œuvre et le spectateur ainsi que son lien avec l’espace d’exposition.

Commissariat
Émilie d’Ornano 

Exposition en collaboration avec Moly-Sabata

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Né en 1991, Rémy Drouard vit et travaille à Nantes. Il est diplômé de l’École Supérieure d’Art de Clermont Métropole (ESCAM). Son travail a été exposé à l’Espace Larith (Chambéry) au Creux de l’Enfer (Thiers), à l’Attrape-Couleurs (Lyon) ou encore au Frac Champagne-Ardenne Reims). En novembre 2021, il effectue une résidence de création à Moly-Sabata afin de produire les pièces pour son exposition personnelle à KOMMET. 

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Guillaume Lo Monaco – ACME

ACME

Guillaume Lo Monaco développe une pratique sculpturale autour de l’enfance. Ses installations présentent bien souvent un décalage entre la forme – ludique et colorée – et le fond qui dévoile une noirceur certaine. Pour son exposition à KOMMET, il détourne et conçoit des « jeux-sculptures » devenant alors dissonants et absurdes. Il distord ces objets pour les amener sur un terrain de jeux menaçant.

L’artiste souhaite aborder les choses avec le regard innocent, sans filtre, d’un enfant. Il invoque un vocabulaire qui n’a d’enfantin que l’apparence. Jouant d’ambiguïtés, la sémantique des titres qu’il donne à ses pièces, nous livre des indices sur le réel sujet traité : les problématiques sociétales et sociales. Bien qu’abordant de manière critique différents thèmes, sa démarche n’est pas pédagogique, pariant plutôt sur les échanges qu’ils peuvent engendrer.

Dans cet espace, aux airs de chambre d’enfant ou encore de crèche factice, Guillaume Lo Monaco chahute et dénonce. Bien que Toxyc soit un tapis-puzzle en mousse, son titre lui confère une signification préoccupante. Après de nombreuses alertes sur la composition cancérigène de ce type de jouet, leur commercialisation a été interdite en France. Sur cet objet, créé de toute évidence pour que les enfants puissent déambuler en toute sécurité, l’artiste y crible des symboles de danger. Le tapis douillet se transforme alors en un environnement dangereux et inquiétant. Progressivement, Guillaume Lo Monaco décrit sa vision alarmiste du monde d’aujourd’hui et met en exergue certains sujets d’actualité.

Il aborde notamment l’acceptation sociale de technologies qui pourraient nous faire entrer dans une forme de dystopie sans même que l’on s’en aperçoive. Malgré certaines controverses, des villes ont utilisé des drones durant les périodes de confinement pour disperser les personnes qui ne respectaient pas les mesures gouvernementales ou encore pour suivre des manifestations. Au XVIIIème siècle, le philosophe Jeremy Bentham conceptualise le panoptique : architecture carcérale prenant la forme d’une tour centrale permettant aux surveillants d’observer sans être vus par les prisonniers. En analysant ce dispositif, Michel Foucault explique – dans son ouvrage Surveiller et Punir (1975) – que la surveillance modifie insidieusement les comportements. Il parle alors d’une société disciplinaire où l’on intègre les normes de bonnes conduites au détriment de notre liberté. À KOMMET, Guillaume Lo Monaco s’insurge de l’utilisation d’outils technologiques dédiés au contrôle et transforme un tir aux pigeons en un « tir aux drones » et détourne des cibles en y insérant différents modèles de caméras de surveillance. Les œuvres Tir aux nuisibles et Cible de tir permettent à l’artiste de rendre compte d’un jugement partial, d’une vision d’un avenir qui le dérange.

Boston Dynamics, entreprise américaine spécialisée dans la robotique, met en vente en sur le marché en 2020 son robot « Spot ». Pour tenter de freiner la propagation du Covid 19, Singapour utilise le chien jaune pour faire respecter la distanciation sociale. Le quadrupède parvient également à comptabiliser le nombre de personnes qu’il croise, devenant une alternative aux drones, aux caméras de surveillance ainsi qu’à une police « traditionnelle ». Au sein même de la série fiction Black Mirror, un chien robot voit ses capacités décuplées, devenant totalement incontrôlable. L’épisode « Metalhead » (2017) nous plonge alors dans une chasse à l’homme menée par un « Spot » fictif. À KOMMET, ce dernier se retrouve parodié en un robot à bascule. Pour déplacer ce type de jouet, l’enfant doit le chevaucher pour le faire osciller. Ainsi maitrisé, les potentielles dérives d’un tel robot se dérobent.

Guillaume Lo Monaco souhaite permettre aux visiteurs de creuser certains sujets abordés. Nichés dans une bibliothèque qui semble être conçue pour les enfants, Le Joli Rouge a été invité à sélectionner des livres en lien avec l’exposition. Le Joli Rouge est une plateforme en ligne qui recense des ouvrages, textes et articles autour du féminisme, de l’éthique animale ou encore de l’anarchisme. Libre et gratuit, Le Joli Rouge propose donc des livres pouvant être emportés au cours de l’exposition, reprenant ainsi le concept d’une « boîte-à-lire », également appelée bibliothèque de rue. Le public est donc invité à feuilleter, à lire, à emporter ou encore à partager les ouvrages présents à KOMMET.

L’artiste propose aux visiteurs une double lecture pour le titre de son exposition. Acmé signifie « un point culminant », « un apogée ». Ce terme est d’ailleurs utilisé en médecine pour parler du degré d’intensité le plus haut pour une maladie. ACME (A Company that Makes Everything) est également l’acronyme d’une célèbre société fictive apparue dans les dessins animés Looney Tunes. Elle apparait comme un fabricant et un prestataire de services qui serait capable de tout proposer. On découvre dans de nombreux épisodes le personnage de Vil Coyote acheter des armes, des fusées ou encore des enclumes pour tenter d’attraper Bip Bip. Le coyote est systématiquement stoppé net par ses achats défectueux. Vil Coyote s’emballe et surconsomme et à KOMMET, c’est un cargo qui se scinde et s’échoue. Ce modèle réduit fait écho au porte-conteneurs Ever Given qui a bloqué le Canal de Suez pendant six jours, condamnant un axe majeur de transport de marchandises, soulevant ainsi des questions sur notre surconsommation et nos sociétés capitalistes.

Comme une sorte de « manifeste sculptural », l’artiste nous livre sa vision du monde via le prisme de l’enfance. À travers cette exposition, le visiteur est donc invité à débattre, à se questionner et à échanger sur les dérives technologiques, l’écologie, l’économie, la surconsommation, ou encore sur le contrôle de la population. Autant de sujets qui l’interrogent et – en appelant à notre rapport à l’enfance – nous amène à réfléchir sur notre condition moderne en tant qu’individus, mais aussi en tant que société toute entière.

Commissaire d’exposition Émilie d’Ornano

Né en 1991, Guillaume Lo Monaco vit et travaille à Bourges. Il est diplômé de l’École supérieure d’Art d’Aix-en-Provence. Son travail a été exposé à la galerie Anthony Roth (Paris), La Graineterie (Houilles) ou encore à la collection Yvon Lambert (Avignon), Guillaume Lo Monaco réalise plusieurs résidences, notamment à l’atelier Motoco (Mulhouse) et à Work in common (Nottingham)

Guillaume Lo Monaco, vue d’exposition ACME
Crédit photo : LSN Films

Guillaume Lo Monaco, Toyxic, 2016
Crédit photo : LSN Films

Guillaume Lo Monaco, Krach 2, 2021
Crédit photo : LSN Films

Guillaume Lo Monaco, vue d’exposition ACME
Crédit photo : LSN Films

Guillaume Lo Monaco, sélection d’ouvrages par Le Joli Rouge, 2021
Crédit photo : LSN Films

Guillaume Lo Monaco, Tir aux nuisibles, 2021
Crédit photo : LSN Films

Simon Lazarus – T/MBER!

Vidéo réalisée par LSNFilms

T/MBER!

L’interjection «Timber!», signifiant «Attention!», précède la chute imminente d’un arbre que l’on a entrepris de couper. Utilisée par les bûcherons, cette injonction à se mettre hors de danger désigne aussi, par extension, la charpente ou le charpentier.

Identité hybride, Simon Lazarus opère un perpétuel va et-vient entre l’art numérique, le design graphique et le graffiti. C’est dans le passage d’une pratique à l’autre qu’il se glisse, entrainant transferts et infusions dans son travail. Au moyen du dessin, de la sculpture et de l’installation, Simon Lazarus explore à KOMMET tout un terrain plastique via l’utilisation du numérique et des nouvelles technologies. À travers les mouvements hacker, maker et do it yourself, il s’adonne au détournement de certains dispositifs et cherche ainsi à contourner et à déplacer les usages d’un outil pour leur donner une toute autre fonction. Cette démarche lui permet de découvrir et d’expérimenter d’autres modes de représentation, qu’ils soient digitaux ou plastiques.

Dans sa pièce Repentir, Simon Lazarus utilise un polargraph, machine de dessin mural dont les plans sont disponibles en open source sur Internet. Guidé par des lignes de codes, l’outil transpose ainsi un dessin vectoriel créé par l’artiste. Pendant toute la durée de l’exposition, un geste mécanique s’activant de manière discontinue, modifie, altère, jusqu’à saturer complètement la fresque. Cette performance à « quatre mains », entre un homme et un robot, renvoie à cette idée que la machine pourrait être capable de suppléer l’homme. Dans l’ouvrage Une brève Histoire de l’humanité, Yuval Noah Harari pose la question suivante : estce l’homme qui a domestiqué le blé ou bien le blé qui a domestiqué l’homme ? Selon l’auteur, notre qualité de vie a été bouleversé depuis que l’homme chasseur-cueilleur est passé au stade d’agriculteur. Nous nous retrouvons alors dans une sorte de dystopie au sein de laquelle les individus perdent peu à peu leur liberté et leur autonomie au profit des machines.

Le dessin Zombra et le triptyque Trinité, conçus grâce à l’Autograph, est un procédé d’estampes numériques développé par Simon Lazarus. En bricolant un plotter, il y fixe cette fois-ci un stylo bic ou un feutre. Cette technique permet la reproduction automatisée de ses dessins vectoriels. En amont, l’artiste définit un nombre de tirages avant de définitivement effacer le fichier numérique, donnant ainsi un caractère unique et une matérialité physique au dessin. En effet, il n’en restera que la trace du stylo sur le papier qui se verra progressivement être gommée par les rayons du soleil. Dans sa pièce Zombra, Simon Lazarus rend visible et matérialise la disparition, quitte à nous emmener vers un monde fictionnel.  Les formes qu’il nous donnent à voir attirent toute notre attention et l’on se retrouve à tenter de décrypter cette scène fantasmagorique. Le triptyque est, quant à lui, directement inspiré du Jardin des délices de Jérôme Bosch (1450-1616). Cette peinture représente sur trois panneaux distincts : le Paradis au cœur d’une végétation luxuriante, le Paradis terrestre et enfin, l’Enfer. En reprenant sa composition, Simon Lazarus évoque l’ambivalence du progrès en jouant d’une multitude de références, visuelles ou historiques, entremêlant époque moderne et contemporaine. Le spectateur se retrouve alors à la recherche d’indices pour parvenir à déceler un contexte ou encore une temporalité. Cette référence à une peinture de la Renaissance n’est pas anodine, comme une réappropriation des valeurs humanistes à une époque où les questions environnementales sont de plus en prégnantes.

Entre la cathédrale et la ruine industrielle, l’élévation de cette architecture à KOMMET donne corps et matérialité à l’imagerie digitale développée par l’artiste. Panorama présente des effets de moirages accentués par ramification et démultiplication de grilles. S’ajoute à cela, des motifs aléatoires marqués par le contact des flammes sur la sculpture. Cette dernière apparait ici comme une ossature ébranlable, prête à s’effondrer, tel un château de cartes. Les chutes des plaques de bois découpées au laser, permet à l’artiste de reconstruire un pic, ou encore des supports pour de curieuses formes anthropomorphes et végétales réalisées en bioplastiques. Sorte de corne d’abondance moderne dans une esthétique aseptisée, ces éléments sont voués à évoluer, se gondoler, se rapetisser ou encore à moisir. Disposée au sol dans l’espace d’exposition, la série Bloom s’apparente à des autels tristement abandonnés.

T/MBER! explore poétiquement le thème de la chute et de la construction à travers le prisme de la conception technique. En recourant à des logiciels, machines ou encore robots automatisés, Simon Lazarus questionne, dans cette exposition, le rapport que nous entretenons face au progrès technique et social. En 2010, on note l’apparition du terme « collapsologie » désignant un courant de pensée transdisciplinaire qui traite d’une prise de conscience des enjeux sociétaux, économiques et écologiques. Lors d’un voyage à Dubaï, l’artiste découvre d’étranges palmiers aux feuilles géométriquement parfaites. En scrutant attentivement cette photographie, on découvre la présence d’une échelle et d’une trappe dans le tronc de l’arbre. Après avoir été trompé au premier regard, on déduit assez rapidement que l’on est devant une antenne 4G déguisée en palmier. Cette photographie devient malgré elle un outil quasi-comique de sensibilisation alternatif faisant écho aux pensées des collapsologues. Loin d’un constat alarmiste et fataliste l’artiste nous projette, avec cette exposition, dans la vision d’un avenir résilient où les individus peuvent encore (ré)agir.

Commissaire d’exposition Émilie d’Ornano

L’exposition T/MBER! a reçu le soutien du fonds SCAN, bourse de production portée par la Région Auvergne-Rhône-Alpes et la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes pour la création numérique.

Né en 1984, Simon Lazarus vit et travaille à Aubervilliers. Il est diplômé d’un double cursus Art & Design graphique à la H.E.A.R. (Haute école des arts du Rhin) à Strasbourg. Son travail a été exposé au 6B (Paris), au DOC ! (Paris), au Palais de Tokyo (avec le collectif Road Dogs), à la fête des Lumières de Lyon, à Constellation à Metz ou encore au Sharjah Light Festival (Émirats arabes unis). Simon Lazarus réalise plusieurs résidences, notamment à Nomada à Dubaï (Émirats arabes unis), aux Usines à Ligugé (86), à Stéréolux à Nantes ou encore à Simplon Lab à Paris.

Simon Lazarus, vue d’exposition T/MBER!
Crédit photo : Simon Lazarus
Simon Lazarus, vue d’exposition T/MBER!
Crédit photo : Simon Lazarus
Simon Lazarus, vue d’exposition T/MBER!
Crédit photo : Simon Lazarus
Simon Lazarus, vue d’exposition T/MBER!
Crédit photo : Simon Lazarus
Simon Lazarus, vue d’exposition T/MBER!
Crédit photo : Simon Lazarus
Simon Lazarus, vue d’exposition T/MBER!
Crédit photo : Simon Lazarus

Louise Porte et Harold Lechien – L’AFTER SHOW

L’AFTER SHOW

Pour sa nouvelle exposition, KOMMET a le plaisir de s’associer au Centre Wallonie Bruxelles dans le cadre de sa « Saison Parallèle » lyonnaise. Cette programmation transdisciplinaire a pour objectif de mettre en avant la scène artistique basée en Fédération Wallonie-Bruxelles. À KOMMET, deux territoires se réunissent par l’intermédiaire de deux artistes : Louise Porte, née en France, basée entre Lyon et Paris, et Harold Lechien, né en Belgique, basé à Bruxelles. Tous deux questionnent notre rapport au quotidien, à notre environnement mais aussi à la place que nous accordons à l’affectif dans nos sociétés contemporaines. Ils créent et façonnent de nouveaux récits mais avec des esthétiques bien distinctes. Le travail de Louise Porte se retrouve alors à la lisière des arts visuels et scéniques tandis qu’Harold Lechien a une pratique des arts visuels formellement tournée vers l’image imprimée et les médias numériques. Le terme « duo show » s’entend plus que cela ne se voit. Dès leur première rencontre, il a été question de composer un récit à deux où chaque élément présent dans l’espace se ferait écho.

Dans cette exposition, les visiteurs sont conviés à découvrir l’after d’un évènement dépourvu de vie. La mise en scène rayonne mais il semblerait que tout reste en suspens. Louise Porte et Harold Lechien invoquent un espace fictif et absurde hors du temps. Pour vite s’en rendre compte, il suffit au visiteur d’observer la photo d’une sculpture antique nichée dans un panneau publicitaire lumineux. Plusieurs réalités et temporalités s’y entremêlent : la statue d’un homme est recouverte à quelques endroits stratégiques de pics anti-pigeons, grossièrement collés, dans lesquels se sont coincés des serpentins de fête. Cette photographie de Louise Porte est rapidement devenue l’œuvre matricielle de cette exposition, le point de départ d’une narration co-écrite avec Harold Lechien. 

Malgré l’abandon de l’espace par les individus, la représentation du spectacle subsiste au travers de multiple « vestiges » délaissés. Impossible de dater ce moment mais des récits émergent et l’on fantasme sur ce que l’on aurait vraisemblablement manqué. À la manière d’un cataclysme naturel, le mobilier, emprunté aux codes de l’évènementiel, semble comme fossilisé, complètement figé. Certains objets oubliés – ou abandonnés de manière précipitée – arborent ce même revêtement minéral. Ces éléments perdent ainsi leur singularité pour se retrouver pétrifiés dans une standardisation manifeste de l’objet. Ces « vestiges », à l’esthétique quasi-archéologique, pourraient faire remonter à la surface des émotions et des souvenirs du passé. Bien que la présence physique d’individus ait disparu, des oiseaux prennent le relai. Animal a priori dénué d’expressions, ces volatiles extériorisent ici de manière exacerbée et burlesques certaines de nos émotions ou états de corps :  ivresse, joie, détente ou encore hilarité.

L’after show met en présence la réalité d’une absence : l’instant est passé mais on se le re-présente au travers d’éléments abandonnés. Ce ne sont pas les détails de cet hypothétique évènement qui sont l’objet du désir, mais bien la représentation illusoire de ce désir. Ici, le fantasme surgit via le manque – ce que l’on imagine avoir raté. Louise Porte et Harold Lechien ont, en quelque sorte, statufié ce moment, donnant ainsi de multiples interprétations pour le spectateur. Le doute plane, est-ce un regard tourné vers le passé, le présent ou encore une réflexion portée sur le monde d’après ? Dans cette exposition, les artistes nous incitent à nous immerger dans l’absurde aussi bien que dans la frustration d’avoir, peut-être, manqué le show de l’année.

Commissaire d’exposition Émilie d’Ornano

Exposition en collaboration avec Valentine Robert du CWB

Née en 1993 à Clermont-Ferrand, Louise Porte vit et travaille entre Lyon et Paris.
Elle est diplômée en 2016 de l’École Supérieure d’Art de Clermont Métropole. Son travail a été exposé à home alonE (Clermont-Ferrand), à Micro-onde – centre d’art contemporain de l’Onde (Vélizy-Villacoublay), à Le Basculeur (Revel-Tourdan) ou encore à Real Time & Space (Oakland, États-Unis). Depuis 2017, Louise Porte réalise plusieurs résidences, notamment à La Casona Roja (Lima, Pérou), à l’envers des pentes (Parc national des Écrins, Hautes-Alpes) ou plus récemment à l’Atelier Bonus (Nantes). En décembre 2020, elle intègre le « Laboratoire de création » initié par le macLYON.

Né en 1995 à Bruxelles, Harold Lechien vit et travaille à Bruxelles.
Il termine actuellement un Master à l’École Nationale Supérieure des Arts Visuels de La Cambre, mention Espace Urbain et Image Imprimée. Son travail a été exposé lors de la foire Artists Print au Brass (Bruxelles), au Centre de la Gravure et de l’image imprimée (La Louvière, Belgique), ou encore à Kanal – centre Pompidou (Bruxelles). En 2020, Harold Lechien participe à l’exposition collective Labo_Demo#2 au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. 

Louise Porte et Harold Lechien, vue d’exposition L’after show
Crédit photo : Amélie Berrodier
Louise Porte et Harold Lechien, vue d’exposition L’after show
Crédit photo : Amélie Berrodier
Louise Porte et Harold Lechien, vue d’exposition L’after show
Crédit photo : Louise Porte
Louise Porte et Harold Lechien, vue d’exposition L’after show
Crédit photo : Louise Porte
Louise Porte et Harold Lechien, vue d’exposition L’after show
Crédit photo : Amélie Berrodier