HOW YOU MOVE ME
À travers la sculpture, la performance et la vidéo, Léa Bouttier mène une réflexion globale autour de l’usage des formes et du langage. De Robert Filliou à Franz West, en passant par Paul Cox, elle s’inscrit dans un héritage où l’artiste facétieux pose la question d’un échange heureux avec le spectateur. À la manière de la Verbs list de Richard Serra, Léa Bouttier a entamé pour l’exposition How you move me une liste d’actions liées aux gestes. Rouler, jeter, saisir, pivoter ou encore renverser, sont autant de manipulations qui nous permettent d’appréhender physiquement des objets. Cette recherche qu’elle opère lui permet de s’interroger sur la manière dont une forme engendre un mouvement. Ainsi à KOMMET, l’artiste tente de sonder le pouvoir des formes par le geste sculptural.
Choisi pour son caractère polysémique, le titre donné à cette exposition est tiré du refrain de la chanson Moving de Kate Bush. En effet, comprenons ce titre comme « la manière avec laquelle tu me fais bouger » mais pouvant être aussi traduit en français par « la façon dont tu m’émeus ». Ce double sens du verbe move en anglais, nous plonge dans une approche sensible et poétique de l’exposition. Avec sa pièce Rouler, saisir, compléter et poursuivre, l’artiste bouleverse notre rapport à l’œuvre car ici, ce sont les gestes qui enclenchent et matérialisent cette installation. Les visiteurs sont ainsi sollicités à faire usage de la sculpture en la manipulant et en l’expérimentant. À nouveau, Léa Bouttier joue avec les formes mais aussi avec les mots. En effet, le terme usage ayant lui aussi un double sens. Il peut être interprété comme l’acte d’utiliser quelque chose ou encore de pouvoir user cette chose, jusqu’à peut-être considérer qu’un objet, par son usage, va inévitablement se détériorer par le temps.
Dans ce dispositif sculptural, une série d’objets, semblables à des billes ou encore des toupies, sont agencés sur un plateau à différents niveaux. Léa Bouttier invite les visiteurs à pleinement les actionner à partir de gestes simples. La place de ces objets est loin d’être figée, tant ils sont amenés à être déplacés, jetés ou encore lancés pendant toute la durée de l’exposition. Ces derniers se retrouvent alors libres de se nicher ou même de se mouvoir dans les tourbillons, cavités et pentes douces de l’œuvre. Ces formes familières, que l’on retrouve dans un grand nombre de jeux d’adresse, permettent le développement de la coordination du geste et du mouvement par l’observation et la mentalisation du plateau et donc de l’espace. Ces formes deviennent les supports de l’expérimentation, des outils, des sortes de catalyseurs de l’œuvre.
Léa Bouttier puise son inspiration dans l’univers du flipper mais aussi dans les foires ambulantes où l’on continue à jouer notamment au passe-trappe, au jeu de bagatelle ou encore au billard japonais. Nous connaissons tous l’objectif de tels jeux, consistant la plupart du temps à tenter de positionner un objet à un endroit précis. Dans ce texte, les règles et les mécaniques ne seront pas dévoilées car à première vue, certaines seront comprises immédiatement tant elles nous sembleront familières. Pour certaines formes, les visiteurs se retrouveront dans l’obligation de développer de nouvelles ressources et d’inventer de nouvelles règles de jeux. L’œuvre suscite une initiative dont les effets sont imprévisibles. Cette installation n’induit pas seulement une simple réception sensible et passive du visiteur, mais celle d’une mise en situation d’activation de la pièce, seul•e ou à plusieurs. Léa Bouttier ouvre ainsi l’espace de l’œuvre et propose aux visiteurs-joueurs une manière différente d’appréhender la sculpture
Commissaire d’exposition Émilie d’Ornano
Née en 1993 à Montreuil-sous-bois, Léa Bouttier vit et travaille à Lyon. Elle est diplômée de l’ESAD Saint-Étienne, mention espace en 2017. Elle a notamment exposé aux Forces Motrices à l’ESADSE, à la biennale off de Saint-Étienne dans le cadre d’un projet collectif, ainsi qu’en 2017 la Cité du Design pour l’exposition des diplômés. En 2019, elle expose à la Serre à Saint-Étienne pour son premier solo show. Depuis 2017, Léa Bouttier est résidente aux ateliers du Grand Large à Décines-Charpieu (réseau ADÉRA).